♥♥ « Egon Schiele », par Dieter Berne. Film autrichien avec Noah Saavedra, Maresi Riegner, Valerie Pachner (1h49). Egon Schiele : 1890-1918
Ce fut une année terrible. Parce qu’il y avait la guerre. Parce qu’il y eut aussi, comme si la folie des hommes n’avait pas suffi, la grippe espagnole. Le peintre Egon Schiele échappa au champ de bataille. Mais le 31 octobre 1918, trois jours après son épouse – alors enceinte de six mois –, il fut emporté par la terrible épidémie. Il avait 28 ans. Dessinateur, peintre, il venait d’accéder à la notoriété tant à Vienne – la ville où il résidait et où il est mort – que dans le reste de l’Europe.
Sa brève carrière fut aussi marquée par le scandale. Sexe, peinture et malédiction : un sujet en or pour un cinéaste ! Dieter Berner pourtant ne force pas la note. S’il évoque en effet cet épisode de l’année 1912 au cours duquel l’artiste viennois fut accusé (à tort) d’avoir eu une relation sexuelle avec une mineure, il n’en fait pas le cœur de son film. L’essentiel pour lui s’inscrit dans les relations que Schiele noue avec ses modèles, sa sœur Gerti, son amante Wally (ancien modèle de Gustav Klimt) et sa sobre épouse, Edith. Ambigus ou amoureux, ses rapports avec ces femmes sont présentés dans le film comme autant de sources d’inspiration, toutes génératrices d’approches et de styles distincts.
Grand frère face à sa sœur, esprit sulfureux face à sa maîtresse aimante et sensuelle, Schiele devient un aimable portraitiste quand il place son chevalet (et son miroir, indispensable accessoire pour lui) devant son épouse. Mais la fièvre du dessin et de la peinture demeure : Schiele ne vit que pour dessiner, pour peindre. En privilégiant l’exploration de cette veine créatrice, Dieter Berner est contraint de jouer la carte du mode intimiste. L’atelier devient le lieu de tous les désirs et de toutes les tensions. La sobriété de la mise en scène est à l’image des portraits de Schiele, privilégiant les cadrages serrés. Mais les plans successifs ne laissent guère deviner la violence des traits et de la peinture.
Pour Berner, l’esthétique de Schiele se construit essentiellement à travers son rapport au corps des femmes. C’est oublier qu’il a réalisé quantité de portraits d’hommes ainsi que des paysages. La biographie n’est donc pas complète. Cela dit, le film ne laisse pas indifférent dans la mesure où il replace Schiele au cœur de l’univers qui fut le sien, entre lumière et doute, violence et solitude. Un critique autrichien disait qu’avec toutes les pierres qu’on lançait sur Egon Schiele, on pourrait faire un jour un monument. Ce film, à sa façon, en est un. Modeste, mais quand même.
Le tableau « Mort et jeune fille » dans lequel Egon Schiele immortalise le grand amour de sa vie, Wally.
Bernard Géniès : source : Le Nouvel Observateur. le 16 août 2017